Fibromyalgie et abus vécus à l’enfance : une cliente obtient gain de cause devant le T.A.Q.

Par une décision en date du 10 février 2015, une cliente des Services juridiques communautaires de Pointe Saint-Charles et Petite Bourgogne a réussi, devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ), à faire reconnaître le lien de causalité entre sa maladie de fibromyalgie et des abus physiques et sexuels qu’elle a subis entre l’âge de 3 et 13 ans. Ainsi, elle a eu droit à une indemnité importante.

La fibromyalgie cause des douleurs musculaires diffuses qui peuvent toucher tout le corps. Elle est souvent accompagnée par la fatigue chronique et de troubles de sommeil et peut perturber de façon importante les activités de la vie quotidienne et le travail des personnes atteintes. La science la décrit comme une « maladie neuroendocrinienne prenant origine au sein du système nerveux » mais ne peut pas préciser avec certitude sa cause (ou étiologie). Nonobstant cela, nous savons que la fibromyalgie peut être liée à des traumatismes. Des victimes d’accidents d’automobile et de travail ont réussi à se faire indemniser pour la fibromyalgie, mais, généralement, les tribunaux sont réticents à reconnaître le lien de causalité si l’apparition de la maladie survient plus de deux ans après l’événement traumatique.

Notre cliente a démontré, selon la prépondérance de probabilités, que sa fibromyalgie, diagnostiquée définitivement en 2009, est liée aux mauvais traitements, abus et traumatismes qu’elle a vécus entre les années 1976 et 1986, soit plus de vingt ans avant son diagnostic définitif et sa réclamation auprès de l’Indemnisation des victimes des actes criminels (IVAC).

Le Procureur général du Québec (PGQ), défendant le refus de l’IVAC d’indemniser la requérante, a fait témoigner un médecin-expert, qui, bien que reconnaissant qu’ « il est probable que les agressions survenues durant l’enfance de madame doivent être considérées comme des facteurs de risques relatifs à l’apparition de la fibromyalgie à l’âge adulte », refusait d’établir un « lien causal direct ». Pour l’expert engagé par le PGQ, établir un lien causal serait impossible, puisque, selon la science, « l’étiologie de ce syndrome demeure inconnue actuellement. »

Le Tribunal a rejeté cette approche, suivant les enseignements de la Courd’appel dans l’affaire Viger (2000 QCCA 4083 CanLII), qui rappelle aux tribunaux administratifs que c’est une erreur de droit que d’exiger une preuve « ayant la rigueur d’une preuve scientifique plutôt qu’une preuve prépondérante traditionnellement acceptée en matière de responsabilité civile. »

En l’espèce, le Tribunal estime que l’expert engagé par le PGQ « a témoigné de la causalité scientifique de la fibromyalgie. »

Quant au délai d’apparition, les juges administratifs concluent, au paragraphe 40 de leur décision, que le long délai entre les abus et le diagnostic n’est pas fatal au recours de la requérante : « Le Tribunal ne croit pas qu’il faille écarter la relation entre la fibromyalgie et les abus vécus à l’enfance en raison du fait que le diagnostic a été posé en 2000, ou au plus tard en 2009. Dr. Richer indique dans son rapport que la fibromyalgie est habituellement diagnostiquée à l’âge de 30 ans (la majorité entre 30 et 40 ans). Exiger que, dans le cas de la requérante, le diagnostic ait été posé dans l’enfance ou à l’adolescence pour établir la relation est irréaliste et va à l’encontre des connaissances médicales. »

Ayant reconnu le lien de causalité, le Tribunal refuse la demande du Procureur général de retourner le dossier à l’IVAC pour la détermination du pourcentage de déficit-anatomophysiologique (DAP) en lien avec la fibromyalgie : « Retourner le dossier à l’IVAC pour qu’elle statue sur cette question apporte un allongement néfaste des délais d’indemnisation des victimes comme l’a expriméla Cour d’appel. »

Le Tribunal détermine que la requérante conserve un taux d’incapacité permanente de 50% en lien avec la fibromyalgie, ainsi que de 18% en lien avec ses séquelles psychologiques, pour un taux global de 68% alors que l’IVAC ne reconnaissait qu’un taux de 9% pour les séquelles psychologiques.

Cette victoire de notre cliente, survenue plus de 6 ans après sa demande initiale d’indemnisation, nous semble importante car nous n’avons pas repéré d’autres cas dans la jurisprudence des tribunaux québécois où le lien de causalité entre la fibromyalgie et des abus sexuels survenus à l’enfance a été reconnu après débat juridique. Dans une autre affaire (S.P. c. P.G.Q.et C.S.S.T. (I.V.A.C.), 2011 QCTAQ 04550), le TAQ a déclaré que l’IVAC, par ses agissements et son traitement du dossier, avait déjà reconnu un lien de causalité entre des abus survenus dans l’enfance et la fibromyalgie, mais le débat concernant la causalité en tant que telle n’avait pas eu lieu devant le Tribunal.

Cette décision n’effacera jamais les horreurs que notre cliente a vécues; elle lui permettra toutefois, espérons-le, de retrouver un peu de dignité et d’espoir.

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