Les infestations de punaises de lit : à qui la faute?

Infestations de punaises de lit : à qui la faute?

Les punaises de lit sont un fléau répandu à Montréal, tant à Westmount qu’à Pointe-Saint-Charles. La cause des infestations est généralement impossible à identifier et, selon les experts, il est clair que le problème n’est pas causé par un manque de propreté des gens. On peut dire que l’arrivée de punaises dans un logement est souvent un cas de malchance. Dans les immeubles à logements, l’éradication de punaises de lit peut être difficile et prendre du temps, même lorsque le propriétaire assume ses responsabilités et agit avec célérité.

En effet, c’est la responsabilité du propriétaire d’un logement de procéder rapidement à l’extermination des punaises de lit, une fois leur présence dénoncée par le locataire. Il en va de la protection de son bien et des personnes qui y vivent. Cela est bien établi par la jurisprudence et la doctrine en matière du logement. Mais qu’arrive-t-il si, malgré la diligence du propriétaire, l’infestation de punaises persiste et cause des dommages au locataire? Le locataire peut-il tenir le propriétaire responsable des dommages moraux et matériels alors que le propriétaire a pris toutes les mesures raisonnables et diligentes pour éradiquer les parasites? Une décision récente de la Régiedu logement – Soudre c. OMH de Montréal[1] – répond à cette question de façon favorable aux locataires.

Jusqu’en 2013, la jurisprudence de la Régiedu logement était divisée sur cette question. D’un côté, les tenants de la décision Marcotte c. Garita Enterprises inc.[2]. Dans cette décision, la juge administrative Jocelyne Gravel, après une revue du droit applicable, détermine que, bien que la présence de punaises de lit dans un logement mette en cause les obligations du propriétaire, l’origine des troubles doit être assimilée à un trouble de fait d’un tiers, trouble qui, dans une certaine mesure, exonère le propriétaire de sa responsabilité pour les dommages subis par son locataire. Autrement dit, comme on ne peut pas identifier la source du trouble, il faut présumer que les punaises ont été amenées dans le logement par un tiers (soit une personne autre que le propriétaire ou le locataire), ce qui modifie les rapports juridiques des parties.

Avant d’aller plus loin avec notre analyse de cette décision, révisons rapidement le droit applicable.

Ce sont les articles 1854 et 1910 du Code civil du Québec qui établissent la responsabilité du propriétaire de fournir un logement en bon état d’habitabilité. L’article 1854 impose des obligations très strictes au propriétaire d’un logement :

« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

 

« Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l’usage pour lequel il est loué, et de l’entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »

Le premier alinéa de cet article crée une obligation de résultat, et le deuxième alinéa, une obligation encore plus forte de garantie.

 

Selon les auteurs Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin[3], la personne soumise à une obligation de résultat ne peut s’exonérer qu’en établissant que l’inexécution de l’obligation est due à une force majeure, à l’acte d’un tiers équivalant à une force majeure ou à la faute du locataire :

« Sur le plan de la preuve, l’absence de résultat fait donc présumer la responsabilité du débiteur et place sur ses épaules le fardeau de démontrer que l’inexécution provient d’une cause qui ne lui est pas imputable. […] À défaut de se décharger de ce fardeau, le débiteur est tenu responsable de l’inexécution. »

[L’italique est du soussigné.]

L’obligation de garantie ne laisse qu’une seule défense au propriétaire d’un logement[4] : « […] le débiteur doit prouver que l’inexécution a été provoquée par le créancier et il ne peut pas invoquer la force majeure. »

En cas de présence de punaises de lit, il est évident que le logement n’est pas en bon état de réparation et d’habitabilité. On ne peut pas jouir paisiblement d’un logement infesté de punaises de lit! Donc, à première vue, un logement infesté de punaises rend le propriétaire responsable.

Par contre, dans Marcotte c. Garita Enterprises inc., le tribunal conclut que, bien que ce soit la responsabilité du propriétaire de procéder avec célérité à l’extermination des punaises de lit :

« [42] […] il est déraisonnable de laisser supporter seul au locateur les conséquences d’une situation où il n’a aucun contrôle sur la survenance et un contrôle relatif sur la prolifération des punaises. Il s’agit d’une situation n’impliquant aucunement la bonne qualité de réparation et d’entretien de son immeuble.

« […]

« [45] Il est normal que le locateur soit soumis à l’obligation de faire exterminer les punaises par des professionnels; comme l’exigent certaines réglementations municipales. En plus d’être soumis à des obligations de résultat à cet égard, il est celui qui a accès à tous les logements de l’immeuble et aux espaces communs. Dans cette optique, le législateur a voulu que les locataires victimes puissent généralement obtenir une diminution de loyer, l’exécution en nature des obligations du locateur et voire même la résiliation de leur bail en cas de préjudice sérieux.

 

« [46] L’octroi de dommages-intérêts n’est cependant pas absolu et selon l’origine du trouble, le locateur bénéficiera de moyen de défense accru. L’un d’eux est le trouble de fait d’un tiers de l’article 1859 du Code civil du Québec. Il s’agit d’un régime, qui de l’avis du tribunal, est le plus conforme à l’intention du législateur lorsque l’origine ou la prolifération des punaises ne résulte pas d’une quelconque négligence. »

[L’italique est du soussigné.]

 

La juge administrative refuse donc d’accorder des dommages et intérêts à la locataire pour toute la durée du problème, estimant que, en absence de preuve sur l’origine du problème des punaises, il faut laisser au propriétaire le bénéfice de la défense du trouble de fait d’un tiers. Autrement dit, pour le Tribunal, l’obligation du propriétaire concernant les punaises de lit est plutôt une obligation de moyen, et non pas une obligation de résultat; il n’a qu’à démontrer sa diligence en traitant le problème pour se dégager de sa responsabilité.

Cette décision était abondamment citée en défense par des locateurs poursuivis en dommages par des locataires aux prises avec un problème d’infestation. (Une recherche dans les banques de jurisprudence en matière de logement révèle une soixantaine de décisions citant Marcotte c. Garita Enterprises inc.) Il est à noter, par contre, que cette décision contenait un élément positif pour les locataires, la juge administrative soulignant le fait que le problème devait être traité immédiatement et que même un délai de traitement de quelques jours n’était pas adéquat :

« [55] […] Le délai de cinq jours entre la dénonciation et le premier traitement est déraisonnable, et ce, même, s’il pouvait être imputable au manque de services d’urgence offerts par l’exterminateur habituel. »

[L’italique est du soussigné.]

Dans Soudre c. OMH de Montréal, une décision du 28 octobre 2015, la juge administrative Jocelyne Gascon s’inscrit en faux contre cette interprétation voulant que les propriétaires puissent se prévaloir de la défense du trouble de fait d’un tiers lorsque leurs locataires sont aux prises avec des punaises de lit.

Dans ce dossier, une locataire âgée atteinte d’une paralysie cérébrale depuis sa naissance vit avec des punaises de lit pendant neuf mois, et cela, malgré les efforts diligents de l’Office municipal d’habitation de Montréal (« OMHM ») d’enrayer le problème. La locataire poursuit l’OMHM pour la somme de 4 000 $ à titre de dommages moraux, pour les troubles, inconvénients et perte de jouissance des lieux loués, et 3 000 $ pour des dommages matériels liés à la perte de ses biens. L’OMHM, par le biais de son procureur, se défend en plaidant sa diligence à agir et l’envoi d’un exterminateur aussitôt le problème dénoncé. Soutenant que la source du problème est inconnue, il prétend ne pas avoir à payer des dommages et intérêts.

Après avoir analysé la décision Marcotte c. Garita Enterprises inc. et les dispositions applicables du code civil, le Tribunal estime que cette défense de « diligence raisonnable » n’est pas disponible pour le propriétaire en pareil cas :

« [92] Le Tribunal ne peut agréer à titre de moyen de défense, à la défense de la simple diligence raisonnable, alors que les articles 1854 et 1910 prévoient spécifiquement que les obligations de la locatrice en sont une de résultat ou de garantie.

 

« [93] Est-ce dans le cas où il y aura présence de coquerelles, rats d’égouts dans un logement, les obligations de la locatrice devraient être moindres, pour suivre l’application de la défense de diligence raisonnable, au lieu d’obligations de résultat ou de garantie ? Le Tribunal ne le croit pas.

 

« [94] Il est vrai que les punaises sont un fléau. Mais le Tribunal estime que l’obligation de la locatrice est de prendre tous les moyens pour le résoudre, sans tarder, avec les meilleurs experts, et ce, dès de début du problème. Son obligation est de résultat, ou de garantie et non pas une de moyen. »

Le Tribunal accorde 3 000 $ à la locataire pour les troubles et inconvénients qu’elle a subis pendant neuf mois d’infestations. En ce qui concerne les dommages matériels, il estime que la preuve n’est pas suffisante quant à la nécessité de jeter les biens et qu’il aurait finalement suffi de les traiter et nettoyer.

Cette décision va donc à l’encontre d’une tendance jurisprudentielle qui diminuait l’intensité des obligations des propriétaires, et cela, aux dépens des droits des locataires. Le message est clair : une infestation de punaises de lit qui perdure peut engager la responsabilité du propriétaire quant aux dommages, même s’il agit de façon diligente. Ainsi, les propriétaires ne doivent pas simplement procéder à l’extermination dans le logement concerné mais doivent prendre des mesures pour s’assurer que tous les logements adjacents soient traités aussi, et ce, jusqu’à l’éradication définitive du problème. Il est à souhaiter quela Régiedu logement applique cette jurisprudence de façon cohérente et que les propriétaires agissent donc en conséquence.


Services juridiques communautaires de Pointe St-Charles et Petite Bourgogne

[1] (R.D.L., 2015-10-28), 2015 QCRDL 34571, SOQUIJ AZ-51226596, 2016EXP-30.

[2] (R.D.L., 2013-06-18), 2013 QCRDL 21867, SOQUIJ AZ-50980162.

[3] Baudouin, Jean-Louis et Jobin, Pierre-Gabriel, Les obligations, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, p. 42.

[4] Id., p. 937.

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Grilles des seuils d’admissibilité : Hausse des seuils à l’aide juridique

Grilles des seuils d’admissibilité à l’aide juridique en vigueur depuis le 1er janvier 2016:
Seuils d’admissibilité à l’aide juridique

Seuils d’admissibilité à l’aide juridique IN ENGLISH

Depuis le 1er janvier 2016, les seuils d’admissibilité à l’aide juridique ont été haussés de façon significative, succès d’une lutte collective menée depuis huit ans par la Coalition pour l’accès à l’aide juridique. Nous nous sommes beaucoup impliqués dans cette longue campagne et nous célébrons aujourd’hui cette victoire!

 

Ainsi, une personne seule travaillant au salaire minimum à raison de 35 heures par semaine est désormais admissible sans frais à l’aide juridique. En effet, le seuil d’admissibilité au volet gratuit pour une personne seule passe de 16 306 $ à 19 201 $ (revenu annuel brut). Une personne seule qui a un revenu entre 19 202 $ et 26 818 $ aura droit aux services d’aide juridique moyennant le versement d’une contribution de 100$ à 800$. Les autres catégories de seuils (un adulte avec enfants, couple sans ou avec enfants) sont elles aussi augmentées. De plus, les seuils d’admissibilité à l’aide juridique seront dorénavant indexés en fonction de la progression du salaire minimum.

 

Avec cette hausse des seuils qui entre enfin en vigueur, on peut dire que l’aide juridique renoue avec sa raison d’être, soit d’assurer aux plus démunis l’accès à la justice et de leur permettre de défendre leurs droits.

 

Aux Services juridiques communautaires, nous avons le mandat de centre d’aide juridique pour les quartiers de Pointe-Saint-Charles et Petite-Bourgogne. Nous offrons donc conseils et représentation dans les domaines suivants : matières familiales (divorce, garde d’enfant, pension alimentaire), logement, aide sociale, CSST, SAAQ, IVAC, Régie des rentes, prestations fiscales canadiennes pour enfant, droit des consommateurs, recouvrement, etc.

 

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