Report de la hausse des seuils d’admissibilité à l’Aide juridique !

Montréal, le 25 février 2015– C’est avec consternation que la Coalition pour l’accès à l’Aide juridique réagit à l’annonce faite ce jour par la Ministre de la Justice, Mme Stéphanie Vallée, de reporter de 7 mois la hausse des seuils d’admissibilité à l’Aide juridique qui devait normalement être effective au  1er juin 2015, conformément au règlement en ce sens qui avait été adopté en décembre 2013.

 

Cela fait plus de 30 ans qu’il y a absence d’arrimage des seuils d’admissibilité à l’Aide juridique avec le salaire minimum. La hausse des seuils qui devait finalement mettre fin à cet écart et entrer en vigueur dans 3 mois  était attendue depuis la fin de l’indexation des seuils d’admissibilité à l’Aide juridique survenue en 1982.

 

Crée en 2007, la Coalition pour l’accès à l’Aide juridique, qui regroupe une cinquantaine d’organisations préoccupées par la question de l’accès à la justice, avait pour principale revendication que l’Aide juridique soit gratuite pour une personne seule travaillant à temps plein (40h/semaine) au salaire minimum comme c’était le cas lors de la création  de l’Aide juridique en 1972.

 

La Coalition, qui avait réagi favorablement à cette hausse des seuils au moment de son annonce à l’automne 2013 (tout en déplorant le délai de 17 mois entre l’annonce  et sa mise en vigueur),  rappelle que ce rehaussement historique est d’une importance primordiale pour l’accès à la justice et que la campagne d’austérité du gouvernement actuel n’aurait jamais du compromettre cette mise à jour tant attendue d’un programme étatique essentiel.

 

La Coalition s’interroge sur les véritables motifs de ce report inopportun d’un ajustement essentiel aux seuils d’accès à l’Aide juridique. Comment le gouvernement peut-il affirmer ne pas avoir maintenant les moyens d’effectuer cette hausse mais qu’il les aura dans 7 mois ? Tout cela semble démontrer que le gouvernement est totalement aveuglé par  ce dogme de l’austérité qui dicte ses moindres décisions.

 

Ironiquement, M. Pierre Moreau, l’un des doyens actuels du gouvernement,  alors adjoint parlementaire au ministre de la Justice, écrivait ces phrases en 2005 sur l’importance de l’accès la justice :

 

« Le bilan actuel des finances publiques exige que l’État recentre son engagement en priorité sur ses missions essentielles. Mais l’accès à la justice, et surtout l’accès à une justice égale pour les plus démunis, demeure l’une des composantes fondamentales de ces missions. »[1]


SOURCE:

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Dénonciation tardive d’abus sexuel et délai de prescription

Compte tenu de l’actualité qui met à l’avant-scène les abus sexuels passés non dénoncés, il est utile de rappeler certaines règles de droit qui régissent les délais de prescription. En droit, les délais de prescription sont les  délais à l’intérieur desquels une action en justice (une poursuite civile) doit être introduite sous peine de nullité. Passé le délai de prescription, l’action en justice ne peut plus être valablement introduite; il y a extinction du droit de poursuite.

 

Il existe différents délais de prescription et sans faire une analyse exhaustive de l’état du droit en la matière, nous voulons simplement rappeler que des changements importants ont été introduits en 2013 par le législateur dans ces questions de délai de prescription, particulièrement en cas d’agression sexuelle. Des changements ont été introduits d’une part dans les délais pour les poursuites civiles et d’autre part dans les délais pour faire une demande de compensation auprès de l’IVAC (l’IVAC étant l’organisme gouvernemental qui indemnise les victimes d’actes criminels).

 

Poursuite civile

 

Depuis le 23 mai 2013, le délai de prescription pour les poursuites civiles où l’on demande réparation pour une agression à caractère sexuel (ou encore, pour de la violence subie pendant l’enfance ou de la violence d’un conjoint ou d’un ancien conjoint) est passé de 3 à 30 ans. Le point de départ de cette prescription de 30 ans est le jour où la victime a connaissance que son préjudice est attribuable à cet acte.

 

Ainsi, une personne qui réaliserait en 2014 que les troubles ou préjudices qu’elle éprouve sont attribuables à une agression sexuelle subie dans le passé (peu importe l’année) pourrait valablement introduire une poursuite civile contre son agresseur pour obtenir réparation. Elle aurait en théorie jusqu’en 2044 pour intenter cette poursuite.

 

À l’opposé, une victime d’agression sexuelle qui aurait réalisé avant le 22 mai 2010 que ses troubles ou préjudices étaient attribuables à une agression passée mais qui n’aurait pas introduit de recours en justice en temps utile  (soit dans les 3 années de cette connaissance) ne pourrait plus le faire, même après l’augmentation du délai de prescription survenue le 23 mai 2013, son droit d’action en justice ayant pris fin  trois ans après cette « connaissance » ou « prise de conscience », soit avant l’entrée en vigueur du nouveau délai de prescription (voir notamment l’arrêt  F.B. c. Therrien (Succession de), 2014 QCCA 854).

 

Finalement, celle qui aurait réalisé ce lien (entre son préjudice et l’agression sexuelle) après le 22 mai 2010, pourrait intenter une poursuite maintenant (dans les 30 ans à compter de cette « connaissance » ou « prise de conscience »), cette personne possédant encore un droit d’action non éteint le 22 mai 2013, soit la veille du jour d’entrée en vigueur du nouveau délai de prescription.

 

IVAC

 

Depuis le 23 mai 2013, une victime d’acte criminel dispose de deux années à compter du moment où elle prend conscience du préjudice subi et de son lien probable avec l’acte criminel pour faire une demande d’indemnité auprès de cet organisme. Ce délai était antérieurement d’un an.

 

Difficultés de preuve en cas de passage du temps

 

Évidemment, toute la difficulté pour la victime réside notamment dans cette preuve du moment  précis où elle réalise que son préjudice est attribuable à l’agression; ce qui faisait dire à une avocate, au lendemain de l’adoption de ces modifications législatives, qu’elles  faisaient du Québec « l’une des provinces canadiennes protégeant le moins les droits civils de ses citoyens victimes d’agression sexuelle, de violence conjugale ou familiale »[1].

 

Deux poids deux mesures ?

 

Il faudrait bien qu’un jour le législateur nous explique pourquoi il a dicté, pour demander réparation d’un même préjudice, un délai de 30 ans (au civil) et un délai de 2 ans (au niveau administratif (IVAC)).

 

Dans tous les cas et compte tenu de la complexité du droit, n’hésitez pas à communiquer avec un avocat(e)  pour connaitre et faire valoir vos droits et ne prenez pas pour acquis qu’il est trop tard pour agir.

 

 


[1] Valérie Laberge, Commentaire sur le projet de loi 22, intitulé « Loi modifiant la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels, la Loi visant à favoriser le civisme et certaines dispositions du Code civil relatives à la prescription » – Les délais de prescription en matière de préjudice corporel résultant d’une infraction criminelle sont modifiés : une occasion ratée de protéger adéquatement les droits civils des victimes d’agressions sexuelles, de violence conjugale et de violence subie durant l’enfance,  EYB2013REP1400

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Les locataires devant la Régie du logement : des délais déraisonnables ?

En tant que tribunal administratif décidant de plus de 75 000 causes par année, la Régie du logement a été conçue pour favoriser l’accès à la justice. Sa mission est établie par la Loi sur la Régie du logement1 et consiste, notamment, à «décider des litiges dont elle est saisie dans le cadre d’une procédure simple et respectueuse des règles de justice naturelle2». La création de la Régie du logement par le législateur québécois, en 1976, découle d’une reconnaissance de «l’inégalité dans les rapports de force entre le locateur et le locataire3» et d’un constat que l’État a un rôle à jouer afin de remédier à cette inégalité pour faire en sorte que les locataires, auparavant démunis face au «droit absolu» de la propriété, puissent jouir d’un «logement décent à un prix adéquat4».

 

La représentation par un avocat devant la Régie du logement est plutôt rare. Et, à l’instar de la Division des petites créances de la Cour du Québec, elle n’est pas permise pour les litiges dont le seul objet est la créance d’une somme d’argent de moins de 7 000 $ (art. 73 de la Loi sur la Régie du logement).

 

Le législateur a accordé à la Régie du logement une compétence exclusive relative aux litiges concernant le bail d’un «logement». En ce sens, la Régie est un tribunal d’exception.

 

Pour favoriser l’accès à la justice, la Régie a mis en place un système de traitement des demandes incluant des «préposés aux renseignements» qui assistent – sans donner des conseils juridiques – les parties non représentées à remplir et à déposer leurs demandes correctement. Ainsi, les parties qui ont peu de moyens pour engager un avocat peuvent néanmoins avoir accès au tribunal.

 

Pourtant, l’accès à la justice est beaucoup plus qu’une question d’être en mesure de déposer une demande devant le tribunal. C’est surtout de pouvoir s’attendre à ce que le dépôt d’une demande permette de résoudre un litige dans un délai raisonnable. Or, à la Régie du logement, les délais très importants pour entendre les causes des locataires soulèvent des interrogations de la part de plusieurs praticiens et des groupes de défense des droits des locataires.

 

Ayant pour objectif d’équilibrer et de favoriser la réconciliation des droits opposés des locataires et des propriétaires, la Régie du logement ne traite pourtant pas les demandes des deux types de parties de la même façon. Le locateur qui s’adresse à la Régie le fait le plus souvent pour expulser un locataire n’ayant pas respecté son obligation principale en vertu du bail, soit de payer le loyer. En contrepartie, les locateurs sont tenus à des obligations très strictes en droit : une obligation de résultat de fournir un logement en bonne espèce de réparation et d’en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail au locataire (art. 1854 al. 1 du Code civil du Québec (C.C.Q.)) et une obligation de garantie – encore plus sévère – que le logement loué peut servir à la destination pour laquelle il est loué, c’est-à-dire à l’habitation (art. 1854 al. 2 C.C.Q.).

 

En cas de défectuosité dans l’état de réparation du logement ou d’une perte de la jouissance paisible du locataire, la seule façon pour le locateur de se dégager de son obligation de résultat est de démontrer que la défectuosité est le fait même du locataire ou bien un cas de force majeure. Ainsi, dans la mesure où le locataire a dûment notifié au locateur la défectuosité (art. 1866 C.C.Q.), le locateur sera responsable de tout dommage causé au locataire par celle-ci (art. 1863 al. 1 C.C.Q.) et pourrait voir le loyer diminué par le tribunal rétroactivement à la date de la dénonciation du locataire (art. 1863 al. 2 C.C.Q.).

 

Si les obligations sont réciproques, les locateurs ont la possibilité de faire exécuter les obligations – et d’obtenir l’expulsion – des locataires dans un délai beaucoup plus court que celui des demandes des locataires pour faire respecter les obligations des locateurs. Ainsi, l’égalité formelle prévue dans le Code civil du Québec cède le pas à une inégalité substantive sur le plan procédural. Les causes pour non-paiement de loyer sont entendues d’urgence à la Régie du logement, soit dans un délai moyen de 6,1 semaines5. Par contre, les «causes civiles générales» (demandes de diminution de loyer, ordonnance d’exécuter des réparations nécessaires, dommages-intérêts) déposées par les locataires courent un délai moyen de 90 semaines avant d’être instruites.

 

Autrement dit, après avoir dûment reçu une mise en demeure par suite du non-respect de ses obligations de fournir un logement en bon état de réparation, un locateur de mauvaise foi peut attendre fort longtemps avant de risquer une sanction du tribunal. Souvent, les locataires aux prises avec des problèmes sérieux de salubrité, comme l’infestation de vermine ou des moisissures, se découragent et déménagent plutôt que de rester dans des conditions déplorables sans aucun moyen de faire respecter les obligations du locateur dans un délai raisonnable. Dans de rares cas – comme le manque de chauffage –, la Régie mettra la cause du locataire sur le rôle de «causes civiles urgentes»… dont le délai moyen, en 2012-2013, était de 8,3 semaines. Dans les conditions rigoureuses de l’hiver québécois, on se demande comment un locataire peut survivre deux mois sans chauffage avant de pouvoir chercher une ordonnance forçant son locateur à régler le problème.

 

Les statistiques de la Régie du logement démontrent que ce sont surtout les locateurs qui y ont recours : sur 73 724 demandes introduites dans la période 2012-2013, seulement 8 353 étaient de demandes de locataires, soit 9 fois plus de demandes de la part des locateurs. Les longs délais pour les locataires ont-ils un lien avec le nombre relativement réduit de demandes des locataires?

 

Malheureusement, nous constatons que ces longs délais amènent certains locataires à prendre la décision regrettable de se faire justice eux-mêmes en retenant leur loyer. Ce faisant, ils risquent l’expulsion automatique, puisque la loi et la jurisprudence n’accordent aucune discrétion aux juges administratifs en ce qui concerne le non-paiement du loyer : dès qu’on allègue que le loyer est en retard de plus de trois semaines, la seule défense disponible aux locataires est de démontrer que le loyer est effectivement payé (art. 1971 C.C.Q.). Sinon, s’ils veulent faire respecter les obligations du locateur à l’occasion de l’audition sur le non-paiement du loyer, les locataires doivent faire eux-mêmes une demande d’ordonnance d’exécution des obligations et de diminution de loyer, accompagnée d’une demande de réunion de demandes pour joindre leur demande à la demande de non-paiement du locateur. C’est jouer avec le feu, car le juge administratif n’est pas obligé de réunir les demandes et, si les causes ne sont pas réunies, le locataire pourrait difficilement faire la preuve de la raison pour laquelle il a retenu son loyer. Généralement, les demandes de réunion d’action d’une demande d’un locataire avec une demande en non-paiement de loyer d’un propriétaire sont rejetées. Il est aussi possible d’invoquer l’exception d’inexécution (art. 1591 C.C.Q.), mais cette défense est rarement acceptée par la Régie6.

 

Il reste que la stratégie de réunion de demandes peut fonctionner lorsque cette dernière est acceptée par le juge administratif, puisque la cause sera sur le rôle d’urgence et le locataire pourrait alors faire la preuve pour sa demande, tout en payant le total du loyer dû à l’audience afin d’éviter la résiliation. Par contre, en tant que conseillers juridiques, nous sommes tenus d’aviser nos clients que retenir le loyer est généralement un risque inacceptable en raison de la possibilité de résiliation automatique. Alors, la seule solution de rechange, comme les avocats qui défendent les droits des locataires le savent bien, est de déposer une demande d’ordonnance d’exécuter ses obligations et de diminution de loyer en espérant que la signification de la demande fera bouger le locateur. Dans ces circonstances, nous sommes enclins à nous demander si les droits des locataires et des locateurs sont vraiment équilibrés dans le contexte du fonctionnement actuel de la Régie du logement.

 

Me Manuel Johnson, avocat aux Services juridiques communautaires de Pointe-Saint-Charles et Petite-Bourgogne

 

Écoutez ici le compte rendu de la conférence de presse sur la longueur des délais à laquelle prenait part Me Johnson ce 23 octobre 2014.
1 RLRQ, c. R-8.1.

2 Régie du logement. Rapport annuel de gestion 2012-2013. Québec : la Régie. 2013. P. 12 [en ligne].

3 Suzanne Guèvremont. «Les règles particulières au bail d’un logement», dans École du Barreau du Québec. Obligations et contrats. Volume 5 (2012-2013) [en ligne]. P. 259.

4 Ibid.

5 Rapport annuel de gestion 2012-2013, op. cit. supra, note 2, p. 18.

6 Pierre Gagnon et Isabelle Jodoin. Louer un logement. 2e éd. Cowansville : Y. Blais, 2012. P. 163.

 

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Nos commentaires sur le projet de Règlement du 27 février 2013

Voici le texte des commentaires que les Services juridiques communautaires de Pointe-Saint-Charles et Petite-Bourgogne ont fait parvenir à la ministre de l’emploi et de la solidarité sociale en lien avec le projet de règlement du 27 février 2013 (coupes à l’aide sociale):

Commentaires sur le projet de règlement du 27 février 2013

 

 

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