L’organisation d’une justice à deux vitesses : la catégorisation et la hiérarchisation des causes à la Régie du logement

***LANCEMENT DU RAPPORT ET CONFÉRENCE DE PRESSE***
À la Régie du logement, la priorité des causes mises au rôle est déterminée par un système de hiérarchisation. Ce système, qui détermine les délais d’attente qui peuvent dépasser deux ans pour des locataires aux prises avec des problèmes d’insalubrité, a souvent été dénoncé comme étant très opaque. Comment est-ce que la sévérité des causes est déterminée et comment le préjudice des partis est-il pris en considération?
C’est ainsi que les chercheurs et chercheuses du Département des sciences juridiques de l’UQÀM, en collaboration avec Pro Bono UQÀM et Projet Genèse, ont entrepris une étude des jugements de la Régie du logement. En se basant sur une analyse de ces jugements, sont enfin disponible des statistiques indépendantes qui démontrent le fondement arbitraire de la catégorisation des causes mise au rôle. Celle-ci ne repose sur aucune base légale et se fonde sur une interprétation arbitraire de la notion de préjudice sérieux.
Lors du lancement, les statistiques et les résultats de la recherche seront dévoilés.

 

Date: mardi 9 juin 2015 à 11h

Lieu: Pavillon Athanase David, 1430 rue St-Denis, Salle D-R200

Rapport: L’organisation d’une justice à deux vitesses : la catégorisation et la hiérarchisation des causes à la Régie du logement
En présence de Me Manuel Johnson, Services juridiques et communautaires de Pointe-St-Charles et la Petite-Bourgogne ; Claire Abraham, Projet Genèse ; Martin Gallié et Jessica Leblanc, UQÀM ; Lucie Lemonde, Ligue des droits et libertés.

 

Voici un extrait du rapport:

Introduction

Cette recherche part d’un profond sentiment d’injustice et d’un malaise croissant à l’égard du fonctionnement de la justice locative.

Les comités logement (1), le Protecteur du citoyen (2), et dans une moindre mesure la doctrine (3), dénoncent et depuis longtemps, les délais d’audition à la Régie du logement (ci-après, la Régie). Ils dénoncent en particulier les longs délais auxquels sont confrontés les locataires pour faire valoir leurs droits, en matière de salubrité par exemple. Ils dénoncent également le décalage entre les délais d’audience que subissent les locataires pour faire valoir leurs droits par rapport à ceux dont bénéficient les propriétaires en matière de non-paiement et d’expulsion.

En effet, selon les données disponibles pour 2013–2014, les causes de non-paiement de loyer sont automatiquement considérées comme urgentes et traitées en moins de deux mois (1,5 mois). Pour les causes dites « civiles générales » — c’est-à-dire les causes qui selon la Régie ne mettent pas en cause l’occupation — il faut en moyenne plus d’un an et neuf mois (21 mois) pour obtenir une première audience. Les délais sont ainsi plus de quatorze fois plus longs. Même pour les causes civiles considérées comme urgentes par la Régie — critère qui n’est pas défini et dont on ne sait pas combien de cas sont finalement classés dans cette catégorie — les délais d’audition sont en moyenne 40 % supérieurs aux cas de non-paiement (2,1 mois).

C’est ainsi la hiérarchisation des causes mises au rôle à la Régie et la priorité méthodiquement et systématiquement accordée aux causes de non-paiement du loyer, peu importe les sommes dues, au détriment des causes dites « civiles » (comme un probl.me de vermines, de chauffage, de harcèlement, etc.) qui est contestée.

Compte tenu de ces données, ce travail poursuit trois objectifs. Dans une première partie, à partir des données fournies par la Régie, ce rapport souhaite faire un bref état des lieux concernant les délais d’audition (I).

Dans une seconde partie, il s’agira d’analyser et de questionner la catégorisation et la hiérarchisation des causes mises au rôle à la Régie. En effet, les délais pour obtenir une première audience dépendent de la catégorie dans laquelle les maîtres des rôles classent les demandes. L’objectif ici est donc d’étudier le fondement de ces catégories et d’examiner ce qui explique et éventuellement peut justifier les écarts de traitement entre les différentes catégories de causes introduites. Nous verrons alors que le principal argument avancé par la Régie du logement pour légitimer ces catégories repose sur la notion de préjudice sérieux. Ainsi, le non-paiement constituerait, en lui-même, un préjudice sérieux qui justifierait un traitement prioritaire. Nous défendrons l’idée que cet argument est contestable et que l’interprétation par la Régie de ce concept — pour lequel il n’existe aucune définition juridique — tend à méconnaître ou plus précisément à secondariser les préjudices des locataires (II).

Pour appuyer cette idée, nous présenterons dans une troisième partie les résultats d’une étude statistique sur les délais de traitement d’une catégorie particulière de causes introduites à la Régie : celles qui portent sur la moisissure dans le logement. À partir de ces cas concrets, dont les effets désastreux sur la santé physique et mentale des locataires, des familles et des enfants sont dénoncés depuis longtemps par la Direction de la santé publique (4), il s’agit d’examiner comment la Régie prend en compte, ou non, les préjudices des locataires. Nous verrons alors qu’une locataire qui se plaint d’un problème de moisissures dans son logement doit attendre, en moyenne, plus de deux ans avant d’obtenir un jugement (III).

En conclusion, à partir de nos résultats de recherche, ce rapport souhaite dénoncer ce qui semble se traduire concrètement par une violation du droit au logement et un déni de justice. En effet, comment qualifier le fait que les jugements pour les causes civiles, en l’occurrence pour des problèmes de moisissures, soient rendus plus d’un an après la demande, soit bien après l’expiration du bail des locataires ?

Le rapport est disponible ici : Collectif Pro Bono UQAM, L’organisation d’une justice à deux vitesses. La catégorisation et la hiérarchisation des causes mises au rôle à la Régie du logement

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