L’aide sociale prive les victimes d’actes criminels de leurs indemnités


Le 15 juin 2017, Me Manuel Johnson Services juridiques communautaires de Pointe-Saint-Charles et Petite-Bourgogne représentait devant le Tribunal Administratif du Québec (TQA) trois victimes d’actes criminel qui ont vu leurs prestations d’aide sociale réduites depuis que l’IVAC leur verse des indemnités.


Voici un article du Devoir un article à ce sujet :
Victimes d’actes criminels et punis par l’aide sociale
http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/501418/victimes-de-criminels-et-de-la-loi

De plus, voici le communiqué de presse qui a été envoyé hier par plusieurs regroupements d’organismes communautaire.

 

COMMUNIQUÉ DE PRESSE POUR DIFFUSION IMMÉDIATE


L’aide sociale prive les victimes d’actes criminels de leurs indemnités

Montréal, le 15 juin 2017 – À l’occasion d’une audience devant le Tribunal Administratif du Québec (TAQ), plusieurs regroupements unissent leur voix pour dénoncer une faille du système d’aide sociale qui prive des victimes d’actes criminels de leurs indemnités.

 

Aujourd’hui, Me Manuel Johnson des Services juridiques communautaires de Pointe-Saint-Charles et Petite-Bourgogne représente devant le TAQ trois victimes qui ont vu leurs prestations d’aide sociale réduites depuis que l’IVAC leur verse des indemnités.

 

Les groupes signataires appuient cette démarche juridique car ils considèrent qu’il est inadmissible que l’État détourne l’objectif de la loi sur l’IVAC de cette façon.
« Sachant que les violences sexuelle et conjugale peuvent engendrer des conséquences financières importantes chez les survivant.e.s, pouvant aller jusqu’à la perte d’emploi ou l’invalidité, cette situation nous préoccupe énormément » affirme Stéphanie Tremblay du Regroupement québécois des CALACS.

 

Le Québec s’est doté de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) pour compenser les victimes et prévoit des indemnités pour les personnes ayant souffert des dommages suite à un acte criminel.

 

Quant à lui, le programme d’aide sociale vise à accorder un « aide de dernier recours ». Les ressources, les revenus de travail, les dons en argent, etc., sont généralement pris en compte pour le calcul du montant de l’aide. Si ces montants dépassent les limites fixées par la loi, le prestataire perd son droit à l’aide sociale. Il existe des exceptions, telles que les indemnités en compensation d’un préjudice versées suite à un sinistre, une expropriation, une éviction, un accident d’auto ou de travail, pour ne nommer que celles-ci. Bref, si certains types de ressources et liquidités sont exclues du calcul des prestations, ce n’est pas le cas des indemnités de l’IVAC lorsqu’elles sont versées sous la forme d’une rente mensuelle.

 

« Il s’agit d’une politique arbitraire et discriminatoire du MTESS. Comment peut-on justifier que les personnes les plus atteintes par un acte criminel sont privées de leurs indemnités? L’IVAC et l’aide sociale sont deux systèmes complexes avec lesquels les victimes doivent se battre pour faire reconnaître leurs droits » déclare Yann Tremblay-Marcotte du Front commun des personnes assistées sociales du Québec.

 

Groupes signataires :
Coalition pour l’accessibilité aux services dans les CLE (CASC)
Regroupement québécois des Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS)
Fédération des maisons d’hébergement pour femmes (FMHF)
Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ)

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Non aux « fake income »: l’aide sociale ne peut imputer des revenus de chambre inexistants.

Le Tribunal administratif du Québec (TAQ) vient de rendre une décision (2017 QCTAQ 05146) dans laquelle il donne raison à un prestataire de l’aide sociale qui, depuis juillet 2015, voyait sa prestation coupée de 125 $ par mois. Il se faisait ainsi imputer une revenu de chambre de 125 $ par mois, revenu qu’il ne touchait pourtant pas.  Depuis des années, cette personne cohabitait avec sa mère et un ami dans un logement à loyer modique. En juillet 2015, des modifications au règlement sur l’aide sociale sont entrées en vigueur en lien avec la comptabilisation des revenus de chambre ou de pension.

 

Plusieurs personnes vivant en colocation se sont alors retrouvées dans la même situation que cette personne, l’aide sociale leur imputant des revenus de location du fait qu’ils vivaient à plusieurs dans un même logement. Ces modifications au règlement faisaient partie de cinq nouvelles mesures adoptées par le gouvernement au printemps 2015 pour réduire le montant des prestations d’aide sociale, mesures dénoncées par les groupes d’aide aux personnes assistées sociales et aussi par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse notamment (voir ici). Dans le cas des revenus de chambre, le gouvernement pensait économiser 5,4M$ en comptabilisant les revenus de chambres des prestataires qui louent deux chambres ou plus.

 

Dans cette affaire (qui est probablement la première à traiter des nouvelles mesures de comptabilisation des revenus de chambre de juillet 2015) le tribunal décide en toute logique qu’en l’absence de réception d’un revenu de chambre, il n’y a aucune raison d’en imputer un.

 

Il est à souhaiter que cette affaire (qui, du reste, n’est pas la seule à se prononcer en ce sens puisque même avant les modifications au règlement, le TAQ avait déjà rendu des décisions au même effet) trouve écho dans les hautes sphères du ministère de l’emploi et de la solidarité sociale afin que cesse pour de bon et pour toutes les personnes touchées, la comptabilisation de ce qu’il conviendrait d’appeler des « fake income » ou  faux revenus de location.

 

 

 

 

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La Cour Supérieure inflige un soufflet au Tribunal administratif du Québec.

L’histoire est celle d’un fils qui touche de l’aide sociale et qui a un compte conjoint à la banque avec sa mère. Ce compte sert à déposer les prestations d’aide sociale du fils à tous les mois mais les montants que comporte ce compte proviennent essentiellement des actifs et revenus de la mère. À l’égard de ce compte, le fils agit en fait comme  le mandataire de sa mère, même si, légalement, le compte est aux deux noms.

 

L’aide sociale découvre finalement cette situation et en résulte alors pour le fils, une réclamation de  30 000 $ de trop payé. Cette réclamation est contestée devant le Tribunal administratif du Québec, lequel confirme la réclamation. Pour le TAQ, le fait que le fils ait eu, à titre de co-titulaire du compte,  plein accès au compte de banque est suffisant pour en conclure qu’il pouvait disposer librement des sommes y contenues. Pour le TAQ, le fils était propriétaire de cet argent et donc, il n’avait pas à toucher de l’aide sociale.

 

Dans un jugement rendu le 23 aout 2016, la Cour Supérieure casse ce jugement. Elle conclut au caractère déraisonnable de la décision du TAQ.   Dans son jugement , la juge Mandeville écrit : « Le Tribunal voit une distinction entre la possibilité de disposer d’un bien (une personne peut en mandater une autre pour disposer d’un bien qui lui appartient), et le fait d’en disposer librement, ce qui implique que la personne peut l’aliéner de son propre gré, sans permission, sans y être obligée et selon son bon vouloir. »

 

Autrement dit, avoir accès à des sommes d’argent ne signifie pas pouvoir en jouir ou en disposer à son gré.

 

Il est rarissime que la Cour Supérieure casse des décisions du TAQ, surtout en matière d’aide sociale. Ce jugement est accessible en cliquant ici.

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La Cour supérieure dit non à une police politique

Montréal, ce 19 novembre 2015

 

Le 15 mars 2011 a eu lieu la manifestation annuelle contre la brutalité policière organisée par le Collectif opposé à la brutalité policière (COBP). Lors de cette manifestation, 239 personnes ont été arrêtées suite à un encerclement des policiers et accusées d’avoir contrevenu à l’article 500.1 du Code de la sécurité routière. La journée même de la manifestation, les Services juridiques communautaires de Pointe-Saint-Charles et Petite-Bourgogne ont questionné la constitutionnalité de cet article, dans un texte rédigé par Me Franccesca Cancino, alors organisatrice communautaire dans notre organisme. La lutte juridique des personnes arrêtées a abouti à une décision favorable en Cour supérieure jeudi dernier.

 

 

Dans la conjoncture actuelle, où les conditions de vie des plus vulnérables sont attaquées de toute part par les politiques d’austérité, cette réaffirmation du droit de manifester tombe à point. La décision est un bel exemple de l’utilité et de la nécessité de porter les luttes sociales devant les tribunaux; tous les forums sont bons et toute opportunité doit être saisie pour faire avancer les droits collectifs. Évidemment, la lutte juridique ne sera pas en soi suffisante; les efforts des policiers et des autorités publiques de nous priver d’un moyen efficace de faire valoir nos droits ont été peut-être frustrés… pour le moment. Maintenant, il nous reste à investir massivement cette rue qui appartient à tous et à toutes.

 

Voici notre résumé et commentaire à l’égard de cette décision importante en matière de liberté d’expression.

 

 

La Cour supérieure dit non à une police politique

 

Jeudi le 12 novembre 2015, après plus de quatre ans de lutte juridique, la Cour supérieure, sous la plume de l’honorable Guy Cournoyer, j.c.s., a donné raison à un groupe de manifestants qui contestait la validité constitutionnelle de l’article 500.1 du Code de la sécurité routière (CSR). L’article 500.1 CSR a été utilisé à maintes reprises dans les dernières années, par les policiers de différentes municipalités, notamment Montréal, Sherbrooke, Gatineau et Québec, pour effectuer des arrestations de masse et mettre fin à des manifestations publiques de dissidence.

 

Ce jugement est chaudement salué par les défenseurs des droits et libertés, tels que la Ligue des droits et libertés, qui a obtenu le statut d’intervenant dans les procédures judiciaires visant à invalider l’article 500.1 et ainsi faire en sorte que les 239 personnes arrêtées le 15 mars 2011, dans le cadre d’une manifestation visant à dénoncer la brutalité policière et la répression politique, soient acquittées des accusations d’avoir participé à une « action concertée destinée d’entraver de quelque manière la circulation des véhicules » et passables d’amendes de jusqu’à 1 050 $. Bien évidemment, le COBP souligne aussi cette victoire importante.

 

En jeu était le droit de manifester et, plus particulièrement, le droit de manifester dans la rue. Le Procureur général du Québec (PGQ), le SPVM et la Villede Montréal prétendaient tous qu’un tel droit n’existait pas. Le juge Cournoyer leur a donné tort, et cela, sans ambages : le droit de manifester dans la rue est protégé par les Chartes canadienne et québécoise, estime-t-il, et l’article 500.1 CSR viole ce droit en rendant les manifestations qui « entrave de quelque façon la circulation des véhicules» (comment manifester sans gêner la circulation ?) illégales si une autorisation préalable n’est pas obtenue du « responsable d’entretien des chemins publics. »

 

Le problème avec ce système d’« autorisation préalable » est que personne ne sait exactement qui est cette personne responsable et comment obtenir cette permission et, surtout, en vertu de quels critères on peut obtenir la permission et selon quelles conditions la permission pourrait-elle être retirée. Défaut fatal aux yeux du juge Cournoyer, qui détermine que la violation du droit de manifester que représente l’article 500.1 ne peut pas être justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

 

Au cours de la décision de 92 pages, le juge Cournoyer met en relief l’importance des manifestations et rassemblements dans les lieux publics, surtout pour les gens traditionnellement exclus du pouvoir politique et économique et qui n’ont pas d’autres moyens, faute de ressources, de faire valoir leurs besoins, droits et désirs : « l’importance de la manifestation découle de l’absence de moyen efficace pour se faire entendre. » (paragraphe 110, citant l’auteur Gabriel Babineau, « La manifestation : une forme d’expression collective », (2012) 53 Les Cahiers de droit 761).

 

Le juge Cournoyer explique qu’il est conscient que la question de la constitutionnalité de l’article 500.1 CSR et son application lors de la manifestation du 15 mars 2011 s’inscrit dans un débat public plus large : « Le Tribunal n’ignore pas l’existence de débats importants au sein de la société québécoise à l’égard de plusieurs manifestations ayant eu lieu au cours des dernières années et les débordements que certaines d’entre elles ont entraînés. Ces débats portent tant sur l’étendue du droit de manifester que celui de son encadrement. » (para 56)

 

Cette notion de débat public est cruciale pour comprendre le raisonnement du juge; pour lui, le droit revendiqué par les manifestants est justement le droit de participer au débat public. Et, le juge met l’accent sur le fait que les Chartes protègent ce droit, même dans les circonstances où leurs actions perturbent la routine quotidienne et ce, même si leur message est impopulaire ou marginal.

 

Le juge Cournoyer trace aussi une distinction très importante, souvent escamotée par les médias et par les autorités publiques, entre les gestes de certains individus ou petits groupes au sein d’une manifestation et le caractère pacifique d’une manifestation en tant que tel. Au paragraphe 61, il souligne : « Une manifestation peut être pacifique, même si un petit nombre de manifestants observent un comportement qui donne lieu à la commission d’infractions réglementaires ou criminelles […] La distinction entre les manifestants qui ont un comportement pacifique et les autres est capitale. »

Il rappelle avec fermeté aux forces policières et aux autorités publiques que les policiers ne sont pas au-dessus la loi. Tout comme le droit de manifester n’est pas sans limites et est soumis à l’obligation du respect de la « primauté du droit », c’est-à-dire, à l’obligation de respecter le cadre légal et réglementaire en place, les policiers sont aussi tenus à respecter ce même cadre et ne peuvent pas s’arroger de pouvoirs que le législateur ne leur a jamais accordés:

 

«  [63] Une démocratie constitutionnelle fondée sur la primauté du droit exige que la détermination de la culpabilité ou la responsabilité de chacun soit établie de manière individuelle selon les exigences du processus judiciaire ou quasi judiciaire applicable aux circonstances en cause.

 

[64] Cela vise tant la conduite des manifestants que celle des policiers qui interviennent. Le respect de la loi s’applique à tous. La primauté du droit n’est pas un principe à géométrie variable. »

 

Fort de ce principe, le juge Cournoyer poursuit une longue et très fouillée analyse du droit administratif, l’exercice du pouvoir discrétionnaire et la délégation des pouvoirs. Il reconnaît que les policiers doivent bénéficier de la discrétion – c’est-à-dire, une certaine marge de manœuvre – dans l’exercice de leur fonctions d’appliquer la loi, mais, citant la Cour suprême, fait remarquer de nouveau que « le pouvoir discrétionnaire des policiers n’est pas absolu. Le policier est loin d’avoir carte blanche et il doit justifier rationnellement sa décision. »

 

C’est ainsi que le juge Cournoyer arrive à la conclusion que l’article 500.1 CSR accorde un pouvoir discrétionnaire absolu aux policiers. Selon le PGQ et la Ville, ce sont de facto les policiers qui sont les « responsables de l’entretien des chemins publics » et ce sont donc eux qui ont le pouvoir d’autoriser  une manifestation ou retirer l’autorisation. La discrétion absolue des policiers se révèle, selon le Tribunal, par le fait que plusieurs manifestations dont le trajet n’a pas été fourni sont tolérées tandis que d’autres sont réprimées, alors que les critères utilisés par les policiers pour prendre ces décisions ne sont pas intelligibles et, surtout, ne sont pas inscrits dans la loi.

 

Le juge Cournoyer remet les pendules à l’heure : en l’absence d’une disposition législative expresse, les policiers ne peuvent pas être chargés d’autoriser l’exercice des droits fondamentaux, tel que le droit de manifester. Ils ne peuvent qu’intervenir lors de la violation des conditions de cette autorisation, ou en cas d’infraction pénale ou criminelle. Et s’ils interviennent, ils ne peuvent pas le faire de façon indiscriminée; ils doivent viser d’abord les individus à l’égard desquels ils ont des motifs raisonnables pour conclure qu’ils ont commis une infraction. Bref, les arrestations de masse, devenues tristement routinières à Montréal ces dernières années, ne seront généralement pas justifiées en droit, sauf en cas d’émeute ou d’attroupement illégal, c’est-à-dire, quand la manifestation, prise de façon globale et objective, devient une manifestation violente.

 

Le « régime d’autorisation préalable » (demande de permission) instauré par l’article 500.1 CSR porte atteinte aux droits fondamentaux puisqu’il ne respecte pas les principes de droit administratif :

 

« [264] […] un régime d’autorisation préalable suppose normalement l’octroi d’une autorisation avant la tenue de l’activité sujette à une autorisation préalable ou à un permis. Il prévoit des conditions relatives à l’exercice de l’activité soumise à l’autorisation et, le cas échéant, les modalités encadrant la révocation éventuelle de l’autorisation. »

 

Selon le juge Cournoyer, l’article 500.1 CSR ne contient aucun de ces éléments essentiels et doit donc être invalidé. Les garanties procédurales qui doivent accompagner une décision administrative refusant l’exercice d’une activité – surtout une activité protégée par les Chartes – ne peuvent pas être mises en œuvre en l’absence d’un « processus formel d’autorisation ».  Avec l’article 500.1, on nage donc dans l’arbitraire et la discrétion sans entrave, et on ouvre la porte au profilage politique et social.

 

Le juge Cournoyer laisse même entendre que la discrétion absolue et sans entrave accordée aux policiers par l’article 500.1 CSR nous ramenait à l’époque de Duplessis : « Toute discussion au sujet de la discrétion conférée par le troisième alinéa de l’article 500.1 doit tenir compte du fait que le droit administratif canadien reconnaît depuis l’arrêt Roncarelli c. Duplessis qu’il n’existe pas de discrétion absolue et sans entrave. » (para 361)

 

Le juge Cournoyer conclut, au paragraphe 466 :

 

« Le droit constitutionnel de manifester sur un chemin public est un droit dont la dimension collective ne doit pas être ignorée. Ce droit ne doit pas dépendre du pouvoir discrétionnaire de la personne responsable de l’entretien du chemin public, surtout lorsque le législateur n’a pas précisé les conditions de son exercice. »

 

Dans d’autres mots, l’article 500.1 CSR, avec son absence des critères d’approbation et de révocation de l’approbation, permettait aux policiers d’agir en police politique puisque ils avaient une discrétion absolue d’interdire des manifestations et procéder à des arrestations de masse s’ils n’étaient pas d’accord avec le contenu du message des manifestants, comme lors de la manifestation contre la brutalité policière du 15 mars 2011.

 

Le juge Cournoyer donne six (6) mois au législateur pour corriger les lacunes dans sa loi. Il est clair qu’il reconnaît qu’un processus formel d’autorisation de manifestations pourrait être constitutionnel. Cela veut dire que l’État pourrait mettre en place un système d’autorisation préalable ou de permis, qui pourrait aussi ouvrir la porte à des abus : il est certes dangereux, à notre avis, pour l’exercice des libertés fondamentales, d’obliger les dissidents à demander permission à l’État pour exprimer leur dissidence. Mais, si les garanties procédurales dont fait mention le juge Cournoyer étaient véritablement appliquées, un système avec des règles claires et la possibilité de contester des refus serait néanmoins préférable à l’arbitraire policier que nous connaissons actuellement. Et le jugement est clair à l’effet que les policiers ne pourraient pas révoquer l’autorisation de manifester (en procédant à des arrestations de masse, par exemple) sans une disposition législative claire leur permettant de le faire ou en l’absence d’émeute ou d’attroupement illégal.

 

Il sera intéressant de voir comment l’État québécois réagira à cette décision. Mettra-t-on en place un système de permis de manifestation ?

 

Nous saluons donc à notre tour cette décision de la Cour supérieure qui risque d’obliger les policiers à revoir leur façon d’intervenir auprès des manifestations. Dans la conjoncture actuelle, où les conditions de vie des plus vulnérables sont attaquées de toute part par les politiques d’austérité, cette réaffirmation du droit de manifester tombe à point. La décision est un bel exemple de l’utilité et de la nécessité de porter les luttes sociales devant les tribunaux; tous les forums sont bons et toute opportunité doit être saisie pour faire avancer les droits collectifs. Évidemment, la lutte juridique ne sera pas en soi suffisante; les efforts des policiers et des autorités publiques de nous priver d’un moyen efficace de faire valoir nos droits ont été peut-être frustrés… pour le moment. Maintenant, il nous reste à investir massivement cette rue qui appartient à tous et à toutes.

 

Vous pouvez lire le jugement ici : Garbeau c. Montréal (Ville de) 2015 QCCS 5246

 

 

 

 

 

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Les parents qui touchent de l’aide sociale peuvent-ils venir en aide à leurs enfants ?

Cette étrange question fait suite à une nouvelle publiée récemment dans le journal La presse et intitulée « Deux assistés sociaux doivent rembourser 30 000$ pour avoir aidé leur fille ». En fait, intuitivement on estime que la réponse à cette question est sans doute oui.  Le rôle des parents n’est-il pas en effet de perpétuellement venir en aide à leurs enfants. Le code civil consacre ce principe en déclarant à l’article 599 qu’ils doivent nourrir et entretenir leur enfant.

Réciproquement, le rôle des enfants, une fois grands, n’est-il pas d’aider leurs parents (principe que consacre l’article 585 du Code civil) ?

 

Le fait de toucher de l’aide sociale y changerait-il quelque chose ? Il serait en effet choquant de réaliser que parce qu’un parent touche de l’aide sociale et n’a donc pas les moyens financiers d’aider son enfant, il ne puisse lui venir en aide autrement en faisant pour lui des tâches ou en lui rendant autrement service.

 

Cette notion de solidarité ou d’entraide familiale est pourtant clairement au cœur des valeurs qui nous habitent et nous sont chères et certaines lois du Québec témoignent de l’importance qu’on y accorde collectivement. Par exemple, la loi sur les normes du travail exclu de son champ d’application certaines activités de salariat fondées uniquement sur une relation d’entraide familiale ou d’entraide dans la communauté[1]. Quant à la loi sur l’aide sociale (i.e. la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles, RLRQ c A-13.1.1), elle relève du ministre de l’Emploi et de la solidarité sociale. Cette loi participe des principes qui guident la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, soit des principes de dignité et de développement et de renforcement du sentiment de solidarité dans l’ensemble de la société québécoise.

 

En juin 2007, au moment de l’annonce de certaines modifications règlementaires, le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale de l’époque, M. Sam Hamad,  déclarait ce qui suit sur le fil de presse du gouvernement : «Parce que la lutte contre la pauvreté concerne l’ensemble de la société,

le gouvernement souhaite encourager les citoyens, les familles et les proches

des personnes en situation de pauvreté à s’entraider. »[2].

 

Compte tenu de ces grands principes qui émaillent tant la législation que les orientations ministérielles, comment des parents ont-ils pu être condamnés à rembourser 30,000.00$ de prestations d’aide sociale en travaillant bénévolement au commerce de leur fille ? Ces personnes auraient-elles agi de la même façon si elles avaient su que leur entraide allait en fait leur nuire ?

 

Nous pensons qu’il est essentiel que les lois, c’est-à-dire les règles qui nous gouvernent soient claires et non ambiguës afin que nos comportements et agissements ne nous soient pas ultimement reprochés comme ayant constitués une violation de la loi.

 

Il est certain que les parents qui œuvraient au commerce de leur fille, dans l’affaire révélée par le journal La presse (et dont le texte intégral se trouve ici), n’avaient nullement conscience qu’on allait éventuellement leur reprocher et leur  faire payer leurs agissements. Ce qui est particulièrement à la fois cruel et ironique dans cette affaire est ce constat que font les juges administratifs dans leur décision :

 

[33] Or, dans la présente situation, ils ne recevaient aucun revenu de la part de leur fille pour les heures passées à la boulangerie de cette dernière. Compte tenu qu’il s’agissait d’un contexte familial et, en l’absence de revenus additionnels, la présente formation considère qu’il était raisonnable pour les requérants de croire qu’ils n’avaient pas à déclarer cette situation à la partie intimée.

 

Le tribunal reconnait donc la probité des parents, constate l’absence de toute faute de leur part mais conclut du même souffle que :

 

[28] Les requérants devaient déclarer à la partie intimée qu’ils allaient travailler plusieurs heures par semaine chez leur fille, et ce, même s’ils ne prévoyaient pas recevoir de rémunération pour le faire.

 

Autrement dit selon le Tribunal, ces personnes devaient déclarer une situation qu’elles étaient par ailleurs justifiées de ne pas avoir à déclarer.

 

Ces situations d’entraide familiale qui mettent en cause des prestataires  de l’aide sociale sont nombreuses comme en témoigne la jurisprudence du Tribunal administratif. À chaque fois qu’un cas semblable est évoqué dans l’actualité on se demande si notre société est véritablement solidaire comme elle le prétend.

 

Il est malheureux que ces personnes n’aient pas été représentées par avocat devant le Tribunal administratif du Québec. Elles auraient pu faire valoir quantité d’arguments, notamment le deuxième alinéa de l’article 1 de  la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles selon lequel « La présente loi vise également à encourager les personnes à exercer des activités permettant leur insertion sociale, leur intégration en emploi et leur participation active dans la société.» ou encore, cette autre décision du TAQ, une affaire similaire où on peut lire :

 

[33]           Le Tribunal estime que le requérant et son fils n’ont pas enfreint l’esprit de la LAPF et qu’au contraire, en agissant ainsi, ils ont contribué à réduire les charges de l’état.

      



[1] Art. 3(2) de la Loi sur les normes du travail, RLRQ c N-1.1

[2] Communiqué 4639 Les dons en nature ou en services faits à une personne prestataire – Le ministre Sam Hamad favorise l’entraide et la solidarité

 

 

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