Affichage et liberté d’expression

Affichage : la réglementation de la Ville de Montréal viole la liberté d’expression!

La Cour d’appel du Québec déclare invalide l’article 469 du Règlement d’urbanisme de la Ville de Montréal pour protégé par l’article 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Selon cet article  » Il est interdit d’inscrire un message, de coller ou d’agrafer une affiche ailleurs que sur une surface prévue à cette fin. »

Le 15 juillet dernier, la Cour rendait jugement dans une cause impliquant l’organisateur communautaire et militant Jaggi Singh. Ce dernier s’est pourvu en appel, suite à une déclaration de culpabilité à l’infraction d’avoir « le 23 avril 2000, apposé une affiche visant à informer le public sur la tenue du Salon du livre anarchiste sur une surface autre que l’une de celles prévues à cette fin « . Selon lui, cette réglementation est contraire à la Charte.

Se basant sur des décisions rendues par la Cour Suprême du Canada en matière d’affichage, la Cour a procédé à l’analyse de cette réglementation. Tout d’abord, mentionnons que l’affichage, qu’il soit politique, artistique ou commercial, est protégé par le droit à la liberté d’expression contenu aux Chartes Québécoise et Canadienne. La Ville a d’ailleurs admis que le règlement en question limite l’exercice de ce droit.

Il s’agissait alors de déterminer si cette atteinte à un droit fondamental était justifiée dans les circonstances.

La Cour procède donc à un test dont le fardeau incombe à la Ville. Cette dernière doit démontrer que l’objectif poursuivi par son règlement est urgent et réel, qu’il existe un lien rationnel entre cet objectif et la disposition réglementaire, et que l’atteinte à la liberté d’expression est minimale. C’est à la troisième étape de ce test que la Ville échoue.

En effet, bien que la Cour considère que l’objectif de la Ville soit fondé et que le règlement soit rationnel eu égard au but visé, soit « éviter la présence de déchets dans la rue, d’irritants esthétiques, ainsi que des dangers pour la circulation […] « , l’atteinte à la liberté d’expression n’est pas minimale.

Premièrement, la Cour considère que le règlement en question n’est pas « soigneusement conçu », que  » la Ville s’en remet à l’entière discrétion de l’administration. ». En effet, cette disposition limite l’affichage à des surfaces prévues à cette fin, mais elle  » n’énonce aucun paramètre de quelque nature que ce soit notamment quant au nombre, à la dimension et à la répartition géographique de ces babillards. » Toujours selon la Cour,  » le citoyen moyen ne peut connaître ses droits à l’affichage sans parcourir le territoire de la Ville pour repérer les babillards. » Deuxièmement, la mise en application du règlement n’est pas plus réussie. La Ville aurait installé des babillards seulement dans deux quartiers de Montréal, soit sur le Plateau Mont-Royal et dans Ville-Marie, laissant d’autres quartiers populaires sans moyens d’expression.

En conclusion, les juges considèrent que la Ville doit permettre l’affichage sur l’ensemble de son territoire conformément à la Charte. De plus, ils affirment que la Ville ne peut pas se décharger de cette obligation en s’en remettant à d’autres moyens de communication d’initiative privée, comme les babillards dans les universités, les journaux ou Internet.

L’article 469 du Règlement est donc déclaré invalide, mais cette déclaration est suspendue pendant 6 mois afin de permettre à la Ville de modifier sa réglementation, si elle le désire. Elle pourrait cependant porter le jugement en appel. Jaggi Singh est pour sa part acquitté de son accusation.

Ce jugement est rendu au moment où une coalition d’organisme et d’individus, la Coalition pour la liberté d’expression (C.O.L.L.E), mène une bataille auprès de la Ville de Montréal pour la liberté d’affichage sur le mobilier urbain. Dans les deux dernières années, les membres de cette coalition ont reçu pour plus de 215 000 $ en constats d’infraction ! Le 5 juillet dernier, la Ville de Montréal aurait proposé à ce groupe l’installation de nouveaux modules d’affichage, les négociations sont présentement en cours.

Ce jugement pourra peut-être donner un coup de pouce à tous les groupes communautaires, groupes militants, petites salles de spectacle et artistes qui n’ont pas les moyens financiers pour des publicités et qui persistent dans leur désir de s’exprimer.
–Le 20 juillet 2010

Pour consulter le jugement de la cour d’appel : cliquez ici

Pour consulter le site Internet de la C.O.L.L.E : cliquez ici

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